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My Bloody Valentine

Interview de Kevin Shields, My Bloody Valentine

–  Bonjour, comment allez-vous ? Kevin Shields (KS) : Bien merci –  C’est M. Ito qui a écrit les questions que nous allons vous poser aujourd’hui. Il a traduit un livre à propos de Loveless sorti il y a quelques années au Japon. Il vous a également interviewé lors de votre toute première visite dans …

mardi 26 juin 2012
MBV Kevin Shields

–  Bonjour, comment allez-vous ?

Kevin Shields (KS) : Bien merci

–  C’est M. Ito qui a écrit les questions que nous allons vous poser aujourd’hui. Il a traduit un livre à propos de Loveless sorti il y a quelques années au Japon. Il vous a également interviewé lors de votre toute première visite dans le pays juste après la sortie de Loveless. Pendant cette interview, vous avez parlé du nom du groupe, My Bloody Valentine. Ce nom vient du titre d’un film d’horreur et vous étiez troublé par cela. A l’époque, M. Ito disait que Loveless allait balayer cette image et vous lui aviez répondu que c’est ce que vous espériez, sinon vous auriez à changer le nom du groupe. Vingt ans plus tard, maintenant que Loveless a complètement changé l’image de My Bloody Valentine, que pensez-vous de cet album ?

KS : Eh bien… A l’époque j’ai été mis à l’écart vous savez. Creation (leur label) nous a laissé tomber un mois après. Il n’y avait aucune promotion, aucun soutien. Personne ne nous soutenait vraiment. On nous voyait juste comme un groupe bizarre. On nous soutenait pendant une semaine ou deux, pour essayer, et puis ça s’arrêtait là. A l’époque, on avait surtout le sentiment que l’album n’était pas apprécié et j’espérais qu’avec le temps les gens comprendraient, et je pense qu’ils ont compris. Je crois que ça venait essentiellement des gens. Pas d’un endroit, d’une source, des fans, musiciens ou journalistes…  c’étaient les gens. Vous savez, beaucoup d’opinions ajoutées les unes aux autres qui ont changé la perception générale…

– Je vois. Quelle signification a eu Loveless pour vous-même ou pour votre carrière ?

KS : Eh bien… Nous savions que nous avions fait un très bon disque. Mais nous étions… Je voulais juste créer des trucs nouveaux à l’époque. Bien sûr, ça n’a pas marché à ce moment-là… Mais finalement, ça m’a apporté une plus grande confiance en moi…

– C’était l’an dernier les vingt ans du disque, et M. Ito se demandait pourquoi vous n’avez pas sorti les albums remasterisés  l’année dernière, en 2011. Etait-ce volontaire ou ne l’avez-vous juste pas fait à temps ?

 

Ks : Non… Ce n’était pas possible à l’époque. Nous avons eu des problèmes techniques et différentes choses à régler à ce moment-là. Il a fallu qu’on règle tout ça avant que ça ne devienne possible. Nous n’avons réussi à faire tout ça qu’en janvier.

 

– Donc en fait, vous aviez prévu de sortir cette version remasterisée l’an dernier pour en faire un disque-anniversaire ?

KS : Non. En fait ça aurait pu sortir plus tôt. J’avais terminé le mastering en 2007.

 

-Je vois.

 

KS : Et puis j’ai dû attendre à cause de différents problèmes.

-Que voulez-vous dire ? Que vous vouliez rendre le son «parfait» et vous ne pouviez plus vous arrêter de travailler sur des petits détails ?

Ks : Non. On a eu un gros problème avec la pochette de l’album. La pochette ne pouvait pas être scannée et  nous avions perdu le visuel original. Nous avons donc dû le refaire et c’était difficile, presque impossible, mais nous avons réussi… et j’en suis ravi.

 

-M. Ito parlait du disque Un, des enregistrements originaux…

KS : Ils viennent des masters originaux qui ont été utilisés sur la version originale. C’était un master digital. A l’époque, tout le monde avait l’habitude de masteriser sur DAT et je préférais le son du DAT à celui du demi-pouce [le format de la bande, dit « half-inch »] en 91. C’était plus proche du son que je voulais. La balance des sons entre les voix et les instruments, toutes les fréquences étaient meilleures sur la version digitale. La version analogique n’était pas aussi bonne. Mais en 2007, je me suis dit que peut-être, la version analogique valait le coup. J’ai alors dû choisir laquelle sortir, mais aucune n’était parfaite. Alors j’ai ressorti les deux.

 

–  Je vois. M. Ito trouve que le son est assez riche sur les gammes moyennes et basses et que le son du disque deux prend de l’ampleur sur les gammes hautes…

KS : Oui.

 

– Il a eu l’impression que les caractéristiques de ces sons étaient à l’opposé de l’impression que laissent les sons digitaux et analogiques habituellement.

KS : Je sais.

 

-Alors l’avez-vous mixé de cette façon intentionnellement ?

KS : Non. Ce qu’il entend comme étant des hautes fréquences, ce sont en fait des hautes fréquences  analogiques.  Quelques détails sur la version de 91 que je n’aimais pas ont été égalisées et « outillées » pour apporter les composantes stereo et mono vers une couleur musicale plus correcte. J’ai essayé de faire ça du mieux que j’ai pu. Les hautes fréquences dont il parle sont des détails dans le son des guitares etc… On peut y entendre les attaques de guitares plus clairement.

 

 

Et le volume de ces albums remasterisés a été élevé, ce qui permet une meilleure expérience d’écoute. Etait-ce intentionnel ?

KS : Oui. Depuis les cinq, sept dernières années, les CD sont devenus de plus en plus forts. C’est très simple de faire des CD forts. Ce n’est pas difficile. Ce que j’ai fait c’est de monter le son au maximum sans pour autant l’affecter. Cela veut dire que les pics ont été compressés ou limités. Le volume est donc plus fort mais pas de cette façon moderne de faire des disques trop forts.  Parce que pour monter le volume, ils doivent sacrifier une partie des données sur le disque. Je ne voulais pas faire ça, c’est donc aussi fort que possible sans pour autant qu’il y ait un sacrifice d’informations sonores.

 

-Vous avez utilisé des compresseurs pour faire ce son ? Comment avez-vous fait ça  techniquement ?

KS : Oui, par exemple, tous les morceaux des EP provenaient d’enregistrements analogiques. Du coup, il y avait déjà une compression dans le procédé… une minuscule compression, et de l’égaliseur. Mais la différence de volume vient plutôt du fait que… le sommet de la limite digitale enlève certains des hauts pics. Tu peux avoir un pic et la seconde suivante tout le disque perd deux décibels, et le pic n’est pas nécessaire. Alors, il s’agissait juste… tu sais… de monter le volume sans affecter le son. Du coup c’est plus fort de quelques décibels de manière générale.

 

– L’original et la version remasterisée de Loveless placent le son au centre, comme sur les disques mono. Mais était-ce intentionnel puisque vous avez sorti la version originale ?

 

KS : Oui, en fait sur la version demi-pouce, sur le disque deux, l’information stéréo à gauche et à droite était trop forte, comparée à l’information mono, et j’ai dû élever cette dernière de quelques décibels pour équilibrer. Parce que l’enregistreur à cassettes qu’on utilisait en 91 rendait le son plus… en fait certaines personnes aiment bien, ils aiment le fait que la cassette de mixes sonne un peu plus stéréo et un peu plus… on entend plus les très hautes et très basses gammes. C’est ce que les gens appellent « un son plus chaud »,  mais je n’aimais pas ça. Alors… je cherchais le son qu’on peut entendre sur les disques.

 

-On vous a très souvent comparé à Brian Wilson et j’ai entendu dire que cela vous agaçait à l’époque. Que pensez-vous de cette comparaison aujourd’hui ?

Ks : Eh bien je ne suis qu’un fan. Donc si les gens me comparent à une des personnes que j’admire… J’apprécie qu’on me compare à mes héros, vous savez. J’ai été un grand fan.

 

-M. Ito dit que dans un sens, le son de Loveless peut être décrit comme un mur de son qui n’avait jamais été entendu dans la musique rock avant. Que pensez-vous de cette remarque ?

KS : Je pensais que l’attitude qu’on avait par rapport au son était perçue différemment par les autres. La plupart des disques traitent le son comme beaucoup de choses séparées qui coexistent. Et je ne voulais pas que toutes ces choses soient perçues comme des éléments séparés. Je voulais que ce soit perçu comme un tout. Et bizarrement, une grosse influence sur le son a été que quand j’écoute de la musique live, je ne l’entends pas en stéréo. Je l’entends comme un son, une unité. Et toujours quand tu vois des groupes… quand je vois de la musique live, tout est ensemble. Quand les gens font des disques, ils passent trop de temps à tout séparer et essayer d’en faire de la stéréo, et utiliser l’égaliseur pour faire en sorte que chaque élément sonne bien à sa propre place, clairement. Et, de bien des façons, je faisais l’inverse. Je voulais juste que tous ces éléments sonnent comme un tout. Je ne pense pas que cette approche était si commune. Je n’en étais pas vraiment conscient à l’époque. Je faisais juste mon truc. C’est pourquoi je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir tant de choses en commun avec ces groupes qu’on appelle « shoegaze ». Parce qu’à mon sens, leur façon de produire des disques et leur approche de la musique sont plus traditionnelles. Et nous, nous faisions notre propre truc.

 

Combien de fois avez vous repiqué les guitares sur l’album ?

KS : Je peux vous donner des exemples de chansons. Le morceau dont les guitares sont les moins repiquées c’est «To Here Knows When». Pourtant c’est le titre sur lequel la guitare a le son le plus lourd. Il n’y a qu’une guitare. Une seule.

 

-Juste une ?

KS : Oui. Un seul morceau. Ou deux, parce que… en fait il s’agit d’un morceau stéréo et d’un autre en mono d’une même prise. Et c’était la première prise. C’était l’exemple le plus extrême de la chose. La chanson «Soon» n’a aussi qu’une seule guitare. C’est partagé entre un Marshall et un ampli Vox. Au début, c’est juste sur le Vox, puis ensuite on a ajouté le Marshall. Sur le titre «Only Shallow» il y a deux guitares tout du long, repiquées au début de la chanson, des parties de la mélodie, il y avait à peu près trois ou quatre repiquages de la même partie et qui était aussi samplée alors, et jouée avec un échantillonneur aussi au point culminant du phrasé. C’est un échantillonneur qui joue en reculant et en avançant en même temps, et aussi une version haute, comme un échantillonneur jouant très très haut. Parfois, il n’y a que quelques guitares, mais « Only Shallow » a le plus de guitares de toute façon. C’est à cause du début. Cette partie requérait beaucoup de repiquages et de samples. Sur une chanson comme « Come In Alone » il y a deux guitares, dont l’une d’elles  est repiquée pour faire jouer les deux parties ensemble. Sur une chanson comme « I Only Said » il n’y a qu’une guitare. Et un repiquage a été créé à partir de samples d’une flûte et d’une voix mixées.

 

-Vraiment ? Je pense que tout le monde  pense que vous avez repiqué plus que ça sur cet album.

KS : Je sais, je sais. La raison pour laquelle je n’utilise au maximum que deux guitares en règle générale est que… quand vous entendez des chants sur nos disques, il y a au maximum deux guitares et une basse… et de la batterie. Et quand il n’y a pas de chant, il y a un repiquage. Et le repiquage est habituellement un genre de retour samplé ou une flûte, une voix, un mix de tout ça sampléensemble. Ah oui, il y a une autre chanson avec beaucoup de guitares, « Sometimes ». Dans « Sometimes »,  il y avait sept guitares acoustiques qui jouaient en même temps. On a ajouté un effet de la gauche jusqu’à la droite et une des guitares acoustiques a été branchée sur un ampli Marshall, mais ça ne sonne pas comme beaucoup de guitares. La chanson qui sonne comme s’il y avait beaucoup de guitares n’en a en fait qu’une seule, et celle qui sonne plus sobrement en a quelques-unes.

 

-C’est très intéressant. Votre technique de guitare avec les tremolo est assez unique mais comment avez-vous fait pour établir un tel style ?

KS : Un ami à moi, en 1988 quand le label Creation nous a proposé d’enregistrer notre premier EP, m’a prêté du matériel. Je n’avais pas de bon matos à l’époque. Il m’a laissé utiliser  son Jazzmaster. Il y avait un bras à tremolo dessus. C’était la première fois que je jouais de la guitare avec ce genre de tremolo et j’ai adoré. En deux heures, j’étais tombé amoureux. Quelques mois plus tard, j’ai acheté une Jaguar quand on a fait  « Isn’t Anything ». C’était une Jaguar japonaise. On a enregistré  « Isn’t Anything » avec une Jaguar japonaise. Ce qui est drôle d’ailleurs vous savez, c’est que tous les instruments qu’on a utilisés pour enregistrer « Isn’t Anything » sont des instruments qui ont été fabriqués au Japon.  En fait non, je me souviens qu’il y avait certaines basses qui étaient des Fender Precision. Donc non pas du tout, mais la plupart venaient quand même du japon.

 

-D’ailleurs, l’un des titres préférés de M. Ito est «Feed Me With Your Kiss» de « Isn’t Anything » mais quand il a écouté le morceau récemment, le son lui a rappelé les Go Betweens et Faust. Qu’est ce que vous pensez de la comparaison ?

KS : Go Betweens ? Hmmmm… Je ne sais pas… Mais c’est marrant parce que quand on a enregistré « Isn’t Anything », l’ingénieur du son qui a fait la moitié de l’album était dans un groupe allemand expérimental qui s’appelait Amon Düül II. Il nous a fait connaitre le Krautrock, cette musique expérimentale de la fin des années 60 au début des années 70, parce qu’il était dans le mouvement. Donc quand on enregistre «Isn’t Anything» j’avais déjà eu une petite introduction à ce genre de musique par lui. Mais pour les Go Betweens je ne sais pas. Ils étaient plutôt bon je crois ceci dit.

 

-Il y avait un album qui s’appelait « Tremolo ». C’est un hommage aux bras à trémolo ?

KS : Ah… un peu. Ouais. Le morceau « To Here Knows When » de l’EP « Tremolo » est assez différent de la version de Loveless. Il a été mixé différemment. La version sur l’EP a plus de mouvement. Plus de… Je ne peux pas l’expliquer très clairement mais il y a plus de mouvement. On avait qu’une seule guitare mais on utilisait un Noise Gate et un compresseur ce qui donnait un autre mouvement aux guitares… Je ne sais pas comment expliquer cela.

-Bon, la prochaine question est un peu idiote mais êtes vous une de ces personnes qui regarde ses pieds quand il parle aux autres ?

KS: Non.

 

-Je vois.

KS : Non. Je ne baisse pas trop le regard. Ça, ça vient d’un journaliste Anglais , ou un type, je ne sais pas, qui a décrit comment tous les groupes regardaient leur pédalier, par terre. Donc l’idée que tous les musiciens baissent les yeux vient de là.  Ils regardaient leurs pédaliers. Et la raison pour laquelle je n’aime pas être associé à d’autres groupes « shoegaze » c’est qu’ils faisaient tous des choses légèrement différentes… leurs propres trucs. Ils avaient leurs propres influences.  On a beaucoup influencé ce genre de groupes au niveau de l’attitude, dans le son aussi, mais musicalement, beaucoup d’entre eux venaient de différentes directions.  Ils étaient influencés par des trucs que nous rejetions. Donc, d’un point de vue sonique et musical,  beaucoup de ce que ces groupes faisaient était à mille lieues de ce qui m’intéressait. Et même si j’aimais bien quelques-uns de ces groupes, je les aimais de la même manière que je peux aimer… les groupes de heavy metal. Je les aime bien, mais je ne me sens pas proche d’eux au point d’être classé comme un groupe Heavy Metal.  Vous voyez ?

Et la plupart de ces groupes avaient quatre ou cinq ans de moins que nous et en règle générale ils étaient tous fans de nous, ils venaient à nos concerts.  Je me souviens quand j’étais jeune, j’aimais la musique punk.  Beaucoup de ces groupes disaient « On n’est pas des groupes de punk rock, on fait juste notre truc… » Beaucoup de groupes disaient ça. Et moi je pensais « Oh, la ferme, sois content et arrête de te plaindre. »  Je déteste me plaindre à cause de ça. Mais pour dire vrai, je n’ai pas l’impression d’avoir tant de choses en commun avec la plupart des groupes « shoegaze ». Je pense qu’ils avaient un truc en commun avec nous, parce qu’ils étaient fans de nous.  Et c’est bien, mais beaucoup de gens mélangeait tout et du coup ils ont un peu réécrit l’histoire et oublié que nous avions écrit « Isn’t Anything » avant que tout ces groupes ne soient seulement formés. Vous voyez ? Ils n’existaient pas. Aucun d’entre eux n’existait. Alors on se sent beaucoup plus proche de groupes comme Dinosaur Jr. et Sonic Youth dans l’attitude. Mais quand on a enregistré Loveless, on avait notre propre univers.

 

Dans “Loveless” il y a plein de niveaux de sons, M. Ito a l’impression qu’il pourrait entendre « une sorte d’aigu qui n’existe pas placé au dessus des arrangements ». Avez-vous intentionnellement fait le disque en ce sens ?

KS : La manière dont l’album est mixé permet à l’imagination et à l’esprit de prendre part au processus d’écoute très facilement. Quand vous regardez l’horizon, vous ne pouvez pas en voir la fin. Vous regardez quelque part au loin, vous n’en voyez pas la fin et votre esprit est influencé par ce que vous voyez. C’est difficile de dire où la musique commence et où elle s’arrête, et votre esprit devient une partie du processus. C’était fait exprès. Dans ce sens, il n’y a pas de séparation entre l’imagination et ce qui arrive en réalité, c’est flouté. Il y a une façon infinie de le percevoir, pour toujours.